Le volis et la chandelle, vers KerfotVent de Nord-Est, bien frais, temps ensoleillé.Notes pour Christophe Guézou, technicien ONF, |
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Monsieur Guézou arrive avec une voiture blanche arborant le logo de l’ONF, il est 9h.
Après les présentations de circonstance, Christophe Guézou me parle de l’histoire de l’ONF, de l’origine de ce corps quasi militaire qui porte l’uniforme « vert finance ». Cette couleur rappelle cette culture de rapport que représente la forêt : « dans les années 50 avoir un bois, 1 m³ de bois = 1 semaine d’ouvrier pour gérer la forêt ; aujourd’hui, 1 m³, c’est à peine une heure... »
Il ajoute, qu’autrefois, les grandes charpentes des églises venaient de la région où elles étaient bâties. Le bois était une valeur locale. Maintenant, en Bretagne, on n’utilise plus ce bois, il vient de circuits longs à la différence d’autres régions, comme en Alsace où plus largement dans l’Est, où la culture forestière est très présente.
Nous restons encore un temps à échanger sur le parking.
Christophe évoque l’article écrit pour le blog sur monsieur Le Du et m’explique, qu’autour des massifs forestiers, il aime que des habitants viennent y acheter du bois sur pied, l’ONF rédige un contrat, « c’est important, ça leur donne une légalité », ce sont des « cessionnaires ».
Des observateurs complices
« Les cessionnaires expliquent la forêt aux autres, ce sont aussi des observateurs, des alliés en somme : c’est le petit monde de la forêt. » Alors, pour illustrer, Christophe se penche et dessine dans le gravier : « ce sont des cercles ; avec le premier, les gens sont à pieds, à proximité, la fréquentation est souvent quotidienne, régulière, c’est de ce cercle que viennent mes principaux cessionnaires ; le deuxième cercle, des habitants qui habitent un peu plus loin et qui doivent venir au bois pour leurs activités (sportive, promenade, cueillettes...) ; enfin, le troisième, des groupes, pas que des touristes, souvent plus bruyants, ils ont besoin de parler quand ils circulent dans le bois. » Cette dernière réflexion me fait sourire. Ça me renvoie à ma représentation d’une forêt domestique, telle qu’elle est vécue par les locaux, ces natifs du coin qui sont proches du bois.
Aussi, quand il marque là les arbres c’est pour les bûcherons et les débardeurs qui vont les sortir, faut qu’ils passent par les entrées de ces petits champs, les « Toul kar » (trous de charrette en breton). M’explique en utilisant une métaphore : pour les gens du coin, voir un engin passer par dessus un talus, c’est aberrant, c’est comme dans une maison, « tu ne passes pas par la fenêtre ! » Mais il y a là aussi une raison pratique, au niveau pédologique, les chemins et les entrées de champs sont des passages, ils sont déjà tassés, « t’évites d’abîmer ailleurs ».
Il s’arrête, il a aperçu un colvert au niveau d’une petite mare, puis la femelle. Va falloir éviter de les déranger. De mon côté, j’entends une grive musicienne, elle me déconcentre, chante à tue-tête…
De la feuille à l'humus
« Le pas de temps »
La forêt, il la travaille au long de la vie du peuplement, c’est « le pas de temps ». Pour m'expliquer la forêt, Christophe recourt ainsi à des expressions tantôt poétiques, tantôt drôles. « La forêt, c’est comme les carottes. Faut éclaircir les carottes si tu veux qu’elles profitent ; les arbres, c’est pareil. » On peut faire des coupes d’amélioration puis, à la fin de la vie d’un peuplement, des coupes de régénération (des coupes rases et on procède au repeuplement), mais « ici, c’est pas ça, nous sommes en futaie irrégulière, tu as des semenciers en place qui laissent tomber leurs fruits au sol, puis on enlève les parents. » Je sens comme un frisson… je pense à mes enfants, et à nous, leur parents… Christophe ajoute, qu'au conservatoire du littoral, il n'est fait que de la futaie irrégulière : « en une seule opération, on fait tout : régénération et amélioration, des micro-coupes. »
Christophe m’interpelle : « t’entends ? C’est un brocard », effectivement, comme un aboiement de chien signale l’animal au loin…
Reprendre le fil : « dès que tu fais une coupe, la place dégagée est un aspirateur de vie », évoquer un aspirateur m’a troublé… C’est le mécanisme de régénération naturelle, un arbre tombe, crée une trouée, aussitôt les plantes pionnières se lancent à l’assaut des sommets !
11h, on est arrivés sur l’emplacement d’une ancienne coupe : à gauche des pins maritimes, en face quelques sujets ont été conservés, reste leur esthétique tordue qui apporte à l’ambiance du lieu. Je sens que Christophe est content de les avoir gardés.
Me montre un châtaignier semencier, au pied, ses petits… Il me parle du processus en cours, de l’importance de l’exposition qui favorisera leur venue et leur croissance. Effectivement, nous aussi recevons cette chaleur confortable, le site est particulièrement bien exposé ; on campe là pour en profiter et continuer nos échanges. Je m'y sens bien, l'endroit est magnifique.
En embrassant le site du regard, il s’agace du mauvais usage que font les hommes en traitant la ressource bois sans discernement, juste pour en faire du bois énergie, « un arbre c’est comme un cochon ; pour nous qui sommes bretons, c’est inconcevable de faire du pâté avec un cochon entier, on valorise. On prend pas un arbre en entier pour faire du bois énergie. »
Quand on fait de la futaie irrégulière, pour lui, on décapitalise (il précise : faible volume de bois sur pied), « pas de grande futaie ici, c’est un perpétuel fouillis », mais ça va à l’encontre de la vision actuelle du promeneur. Christophe soulève les contradictions et les malentendus qui s’installent parfois avec des usagers. Sent que sa profession est malmenée, ou en tout cas, mal comprise. Comment réconcilier tout le monde ? Visiblement, en expliquant, en passant du temps à échanger avec des acteurs qui utilisent directement ou indirectement les bois, c'est sa devise.
11h30, silence, je vois Christophe lever le nez, je suis son regard, nous voyons passer un rapace dans le ciel bleu, pense que c’est une femelle épervier.
En retournant sur nos pas, il me propose de retrouver le chemin en coupant sur notre droite, en passant dans les pins. Nouvel arrêt, a remarqué un plant de châtaignier sur lequel un brocard s’est frotté, « il a marqué son territoire ». La blessure de la tige n’a pas totalement cicatrisé, cet arbuste pourra-t-il poursuivre sa croissance ?
Nous arrivons sur un chemin de cloisonnement, il est flou, l’herbe l’a envahi, c’est de la molinie ; les chevreuils aiment les jeunes poussent, sont tendres… C’est un signe, elle vient sur les sols tassés, gorgés d’eau, elle est asséchante, mais faut pas qu’elle vienne dans les bois, elle empêche les plantules de pousser.
Me montre un arbre mort, il souligne l’importance de le garder, le tronc décharné, brisé, se dresse encore fièrement, c’est une chandelle dans le jargon forestier ; la partie haute qui est tombée, demeure encore au-dessus du sol, comme encore accrochée à sa vie passée, c’est un volis ; ces arbres morts qui peuvent être marqués d’un triangle jaune, sont répertoriés, signalés par coordonnées GPS, stipulant l’interdiction de les détruire, sont protégés.
En poursuivant sous les pins, il me donne à voir de jeunes pins issus de régénération naturelle, ils poussent là, l’espace est relativement ouvert à la lumière. Pour savoir si les conditions sont bonnes, me montre en se saisissant des verticilles qu’il rassemble dans ses mains, il vérifie ainsi que le bourgeon terminal domine bien, sinon, le semi n’est pas viable, c’est qu’il n’y a pas assez de lumière…
Il est midi, avons gagné le chemin, évitant de nouveau les épisodes boueux.
« Tu connais ? Marius le forestier, un livre avec des photos de Robert Doisneau. »
« Non ! »
« Faut absolument que tu le lises, il l’a fait en 64, m’a beaucoup marqué. »
Me parle aussi du poème de Servat, « Arbres», apprécie beaucoup.
Le parti de la forêt
Sommes hélés : apparaît au loin un de ces cessionnaires, Yves, un de ces alliés amoureux de la forêt.
Fin de la sortie
12:45. Si parfois j’ai eu l’impression que Christophe me délivrait des leçons de terrain (ce qui me ramenait à mes années de lycée agricole), nos échanges ont laissé transparaître autre chose, sa passion des bois et son envie de transmettre… J’ai circulé dans un tout petit bout du bois, et pourtant j’ai eu l’impression de vivre tout le bois sous son regard éclairant, un regard qui éveille à une nouvelle conscience sylvicole.