DEMARCHE DE L'ARTISTE

A l’occasion de l’élaboration du plan de gestion des espaces naturels menée sous maîtrise d’ouvrage du Conservatoire du Littoral, L’AGRAB Abbaye de Beauport invite l’artiste plasticien Gilles Bruni en résidence pour un travail artistique en écho avec le processus d’élaboration de ce document stratégique.

Démarche de l'artiste

La réalisation in situ de tout projet humain pose la question de son implantation, du cadre environnemental et du sens. La manière dont on habite le monde est une problématique qui traverse mon activité. N’entend-on pas dire aujourd’hui que la crise écologique est aussi une crise des représentations ? Elle a besoin de récits et de supports qui nous la rendent accessible, audible, visible, et je vois l’art comme un puissant moyen de donner du sens.

Depuis de nombreuses années, ma démarche s’est ouverte à des pratiques collaboratives, en lien avec les habitants, les forces locales et les compétences spécifiques liées le plus souvent aux situations inhérentes au projet. Celles-ci m'apportent d’autres approches et étendent le champ des compétences. En les croisant, j'enrichis mon travail in situ que je mène depuis 1988.

De là, se crée cette pratique d’installation « paysagère » qui ne peut pas être produite détachée de son contexte. Il s’agit de faire exister, voir et vivre des relations à l’environnement à travers des constructions, des dispositifs, des images qui signent un type de relation avec le lieu.

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J'axe aujourd’hui ma pratique et mes réflexions dans plusieurs directions. 

A partir d’une écologie du paysage dans l’espace public, elles me portent vers des espaces en attentes ou sans usages particuliers, des zones « floues », ces espaces pouvant être intra ou péri-urbain, comme il y a quelques années pour 'Stuwa' dans un village, Bisel, en Alsace. 

D'autre part, je défends la position d’un travail au carrefour de pratiques artistiques et de formes qui peuvent relever entre autre du jardinage, de l’agriculture, de l’architecture... croisant des activités de terrain, comme dans le Domaine de Chamarande, en 2011, puis en 2013, où deux réalisations pérennes et évolutives relèvent d'un travail de collaboration avec le naturaliste et les jardiniers du parc dans le cadre du plan de gestion. Deux œuvres, Balance et Le pourrissoir, sont issues de cette collaboration. 

Avec cette façon de travailler, je n'hésite pas à faire intervenir d’autres disciplines : l’écologie, la sociologie, l’histoire. De fait, ce travail devient plus empirique, de l’ordre de l’expérience, en lien avec les populations parmi lesquelles je travaille, comme dans le cadre de résidences assez récentes, à la Cité des Électriciens avec Campement, à Bruay-la-Buissière, et au château de Clisson lors d’Arrangement Végétal, entre 2012 et 2013. Tout n’est pas défini par avance.

La dimension historique et urbaine m’intéresse tout particulièrement lorsqu’elle met en perspective nos façons de vivre la ville, comme aux Herbiers où j'ai travaillé en 2010 et 2011 sur un territoire marqué par les usages de la rivière, puis leur abandon. Ruissellement est à prendre comme une interprétation des lieux basée sur des vestiges discrets et des prélèvements de terrain qui ont été exploités et restitués dans l’espace spécifique d’un ancien lavoir.

Enfin, je sais travailler, dessiner dans l’espace, créer des formes in situ, mais je n’hésite pas à intervenir de manière plus diffuse lorsque les échelles deviennent plus importantes. En 2017, j'ai mis en place, avec l’association l’Esprit du Lieu, un protocole de travail me permettant de construire le projet de résidence pour le lac de Grand-Lieu. J'ai pu alors recourir à différents médias qui m'ont donné une appréhension plus mentale de l’espace, au travers d’objets, de photographies, des expositions locales et leur diffusion dans un publication et le film Circum Lacustre. 

C'est peut être dans ces dernières manières qu'il faudra chercher ce que je vais tenter de développer à Beauport. Une en-quête de terrain a commencé depuis décembre 2020... et ce carnet de bord est un moyen que je mets en place, avec les concours de gens du coin, pour approcher les lieux, des habitants, des usagers...

Par mon engagement artistique, je tente de révéler une poésie dans ce qui est banal, des lieux parfois jugés sans qualités, dans le ressac de nos histoires. Dans ces allers et retours je fais apparaître du sens et cherche à partager cette rencontre avec un lieu dans des formes et des matières qui émergent pour un temps et finissent par se résorber.