Dimanche 14 mars 2021 | MARIE-JEANNE


En longeant les murets, entre l'étang de Cosquellou et Kervénou

Temps plus clément que la veille, ciel assez découvert, avec soleil et vent qui reste frais.
Notes pour Marie-Jeanne Roux,
Beauport, dimanche matin 10h00, 14 mars 2021.

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Contre toute attente, Marie-Jeanne arrive en voiture sur le parking près de la maison 33, son conjoint est au volant, ils m’embarquent vers l’étang de Danet, une façon d’économiser de la marche si on décide d'aller plus loin...

Ils habitent rue Gravelodic, au bord du bois, et ses habitants, elle en connaît, ils viennent visiter son jardin, mieux, bouloter toutes les jeunes pousses : haricots, petits pois… « J’ai un blaireau qui vient tous les jours, il déterre mes dahlias, oh, pas pour les manger, je pense que c’est les petites bêtes qu’il trouve là. »

Marie-Jeanne propose de m’emmener du côté de l'étang de Cosquellou, plus précisément vers Kervénou, en limite de Kérity. Par là, on peut même aller jusqu’au bois de Kerfot. Me dit qu'elle veut me montrer des endroits que je ne connais pas encore. La voiture nous conduit jusqu’à Danet ; sur place, je lui parle de la ruine, plus bas, celle qu’entretiennent Philippe et son équipe (l’entreprise Chantiers). Jacques, le responsable du service environnement et jardins de l’Abbaye, m’a d'ailleurs parlé de ce qu'ils y font, un gros travail de nettoyage. Sait-elle ce qu’il y avait là ? Philippe, que j’ai vu la veille, pense à une ferme ; Marie-Jeanne me dit que... dans ses souvenirs, « on louait des cannes à pêche à cette maison..., une vieille dame en noir... » ; c’est confus, elle était très jeune… mais ce souvenir est tenace.

 

 

Nous reprenons la marche, empruntant le chemin par lequel nous revenions hier, en fin d'après-midi, avec David Burrows. Impression de refaire le parcours à l'envers !... Sur notre gauche, contourner une barrière et s'engager. Le temps est plus clément, Marie-Jeanne commente : « quand il fait froid au bord de la mer, c’est le vent d’Est, alors je viens dans les bois, fait toujours une température plus agréable. On entend le vent mais tu le sens moins. » Avançant un peu, elle ajoute, « le bois me sert énormément, les châtaignes en automne, ça accompagne un poulet du dimanche. » Sur ma droite un carex attire mon attention, une belle 'bouillée' que j’avais vu la veille. Je lui fais remarquer qu’on en voit plein dans cet endroit. Elle réagit aussitôt, dit que c’est envahissant, me montre des petits tout autour, et qu'après, tout ça fait des grosses touffes, elle s'avance toutefois pour caresser une longue tige en signalant qu’elle trouve joli lorsque la plante porte ses épis. Lui dis que c’est Carex pendula ou la 'laîche pendante', celle que j'ai déjà repérée le long du mur de l’allée des ormes, en bordure de l’Abbaye. Marie-Jeanne se met à me raconter que « les frangins, dans le temps, venaient et coupaient des feuilles de marais, mais aussi des iris, pour la fête Dieu. On décorait la maison, les bords de la route, on dessinait avec la sciure de bois qu'on prenait chez Coatanhay, puis on mêlait ça avec de la craie, pour colorer. Et des fleurs, mais aussi des fougères, de la mousse... » J’ai senti un certain enthousiasme enfantin à l'énumération. Dans son élan, elle rajoute : « à l’école publique, on faisait des guirlandes avec les feuilles de houx. » Elle s’est arrêtée. Me montre en se saisissant d'une branche, détachant une feuille pour refaire le geste. « On décorait les classes avec ça. Pour noël, (en guise de sapin) on prenait une branche de pin qu’on mettait dans un pot. »

 


J’aperçois la grille ouverte vue hier, elle nous avait intrigué avec David, pourquoi ici, au milieu de nul part ? Marie-Jeanne m’explique qu’il y a une quinzaine d’année, on était bloqué là, le propriétaire avait enfermé le terrain. » Elle se souvient du jour où elle était tombé dessus, en revenant de Kervenou ; elle avait été toute surprise de se trouver arrêtée là… Je lui pose des questions sur la digue, fais mes commentaires comme quoi elle est en train de disparaître dans la végétation. S’il n’y avait pas la vue imperceptible de la chute abrupte à travers la végétation et le son de l’eau, on n’y prêterait peut-être pas attention. « C’était pas comme ça avant, la digue… c’était juste une petite retenue d’eau. » 

Maintenant, l’étang se dévoile, vite comblé de langue de sables limoneux qui le colonisent, une végétation maigre s’y est installée… Croisons sur le bord, un petit amas de bouteilles et de canettes, ont été rassemblées ici, sans doute en attente d’être enlevées… Comme pour annuler l'effet de cette présence, Marie-Jeanne me dit qu’ici, il n’y a pas grand monde, « Kervénou n’est pas un quartier très fréquenté, c’est assez retiré. » A ce moment là, une petite fille apparaît sur le chemin, elle s’est figée et nous fixe du regard un instant, se retourne et rebrousse chemin... On a dû l’intimider. Arrivés à l'endroit de son apparition, nous voyons de jeunes adultes accompagnés de leurs enfants qui descendent d’un chemin, sur la gauche : nous nous croisons en silence, presque gênés.

 
 
 

Plus avant, Marie-Jeanne se penche : « tiens du pulluche, on en ramassait des sacs, la grand-mère faisait du feu pour faire bouillir l’eau pour le linge. Le pulluche servait à garder le feu vif. On brûlait aussi la bouse de vache de chez Jean Calvet. Quand on allait chercher le lait à l’Abbaye, on regardait s’il avait des bouses. On attendait qu’elles soient bien sèches pour les prendre. » Notre marche reprend, lente, toujours attentive.

  
 
 

Nous regardons défiler l’îlot sableux sur notre droite, il est tout retourné, indéniablement par des sangliers, on remarque des souilles bien façonnées. À gauche du chemin, quelques genêts : « on s’en servait aussi pour faire le feu ; l’ajonc, lui, on récupérait les graines, oh, ça n’en faisait pas beaucoup à chaque fois, et ma mère les vendait à la graineterie de Paimpol, ou plutôt, elle les échangeait contre d’autres graines, lui ai jamais vu ramener des sous. »

 

Franchir les barrières : sont grandes ouvertes, elles bornent une parcelle pour partie envahie d’une végétation de fond de vallon, ne doit pas être pâturée depuis un moment. Derrière nous, on entend qu'il y a du mouvement, ce sont les gens que nous avions croisés, sont au bout de l'étang et semblent être en train de revenir.


Nous bifurquons à droite, délaissant le chemin creux en face, j’observe : c’est le chemin par lequel je suis arrivé hier après avoir découvert l’étang de Cosquellou. Elle emprunte les passerelles, je la suis ; elle évoque des histoires de sous-terrain, je renchéris avec celles que nous avions évoquées avec David ; elle confirme cette histoire selon laquelle existerait un souterrain entre Kerfot et l’Abbaye, même celle entre l’île de Saint-Riom et l’Abbaye, des légendes dis-je ! Pas de doute pour elle aussi qu’elles soient fausses, les légendes ont cette qualité d’être tenaces. Maintenant, elle pointe le doigt vers le chemin qui monte sur notre gauche, l’eau coule au centre, aïe... Il mène bien au-dessus de Cosquellou, à la limite de Kerfot et Plouezec, mais c’est trop boueux ; nous rebroussons chemin, repassons sur les passerelles, retrouvons les barrières... 

A droite, celle qui ouvre sur une autre pâture est encadrée de vieux chênes, elle attire mon attention sur la présence de murets de pierre aux alentours, sont souvent recouverts d’une épaisse croûte de mousse, de racines… « Ici, ce qui est extraordinaire, c’est le travail des hommes, si on regarde bien, c’est plein de petites parcelles délimitées par tant de murets de pierre qu'on a l’impression qu’on prenait juste un petit morceau du bois. » Elle imagine, s’émeut. J'entrevois ce dessin malgré la végétation. Nous empruntons le chemin creux que nous avions délaissé : « un chemin à charrettes », bordé de ces murs qu’on devine plus qu'on ne voit, d'où surgissent de temps à autre, la taille régulière, bien plate, à la tranche nette, des pierres bien rangées. Le tout devait être particulièrement soigné, signalant que cela importait. 

A un des chênes, elle montre une corde qui pend, « on devait 'amarrer' là des chevaux dans le temps », et à l’autre chêne, des vestiges de cordes au pied... Elle continue de m’embarquer, de me rendre présent le passé, elle se fait l’interprète lyrique d’un passé têtu qui ne veut pas disparaître… 








 

En cours de chemin, les gens que avions croisés nous dépassent un à un, les deux jeunes hommes portent, chacun, une bûche sur l’épaule. Une des femmes ferme la marche en tenant un sac rempli de déchets, je me dis que les bouteilles et les canettes vues au bord du chemin ont été embarquées… 

 



 
 

Encore de la boue… profonde, je m’enfonce bien, mais elle ne colle pas, mes chaussures sortent indemnes de l'épreuve. Marie-Jeanne, elle, s’écarte prudemment du milieu du chemin. Et toujours ses délimitations de terrain, ces restes de murets, parfois imposants. Le chemin se prend à grimper, plus abrupt, au sol de pierre, la terre se ferait-elle plus rare ? La végétation change, des pins maritimes, des arbres bien maigres, des chênes tortueux, des ajoncs… A nouveau ‘ça bouillasse’, vite trouver une stratégie d’évitement… L’eau s’est accumulée tant qu'elle a produit une belle pâte noirâtre, luisante. Cette fois, nous avons rattrapé le groupe, troisième fois qu'on les rencontre, décidément... Une partie du groupe a quitté le chemin, est remonté dans le bois pour éviter le bourbier, ça sent la débandade. Je sens qu'une connivence s’installe entre nous, ces rencontres à répétition et le partage de ce cheminement nous rapprochent… Un des hommes engage la conversation, nous explique qu’il habite là, un peu plus haut, sur la gauche. Le ciel se dégage, nous quittons le bois pour prendre de la hauteur. On voit sa maison. Avec Marie-Jeanne, ils échangent, se donnent des repères, font du commun. Elle semble connaître les lieux. L’homme est affable, répond aux sollicitations, mais nous nous séparons peu après, cette fois, eux sur la gauche et nous à droite. 

 

 

Maintenant, Marie-Jeanne se retourne et d’un grand geste balaie l’espace pour me faire appréhender les limites entre Kerfot et Kérity, mais suis à la peine, je n’ai pas ses repères... Ici, on sent bien le vent, nous sommes exposés. Je me rends compte combien le bois devait être traversé de ces chemins qui circulaient entre les hameaux, où l'on devait pouvoir passer à pieds, en charrette ou à cheval d'un lieu à un autre, à une époque pas si reculée, c'était sans doute la voie normale. Nous touchons bientôt au but, nous tournons à droite, longeant un long mur de pierre qui semble jouer à cache-cache avec les bruyères et les ajoncs, et derrière, des pins... Du bout du chemin, arrive un chien qui entraîne un garçon, celui-ci peste contre l’animal qui n’en fait qu’à sa tête, ça me fait sourire, la corde se tend, se détend, se retend, le garçon passe, part d'un côté, le chien par un autre… J'aperçois les premières maisons, Marie-Jeanne m'annonce : « nous entrons dans Kervénou », à la rue François Le Louarn, nous retrouvons la voiture de Jean-Pierre, il nous attendait patiemment. Il est 11h45, la fin de cette belle rencontre, la voiture nous emporte rapidement vers l’Abbaye.







J'espère que j'aurais l'occasion d'entrer dans ce jardin au bord du bois… Et alors, peut-être pourrais-je y rencontrer quelques uns de leurs voisins ?...