Samedi 13 mars 2021 | DAVID


La quête de l’étang mystérieux

Temps changeant, passages nuageux avec vent et averses intenses, brèves apparitions du soleil.
Notes pour David Burrows,  

Étang de Beauport, samedi après-midi 14h30, 13 mars 2021.

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Se retrouver chez David, au bord de l'étang de Beauport ; après le temps des salutations, prend sa casquette tout en m’expliquant qu’il l’avait trouvée dans le bois, la porte souvent, y tient beaucoup, parce que « ça vient du hasard ». Maintenant, il enfile le manteau et nous voilà dehors, prêt à prendre un escalier qui nous mène à un palier. « Je l’ai fait 2 ans avant » me dit-il avec son bel accent anglais. Dit avoir nettoyé l’endroit et compte bien faire une cabane avec du « bois d’église », d’anciens morceaux… Il soulève une bâche et me montre son trésor et avoue qu'il « en faudra beaucoup »… J'entre ainsi dans l'univers de David qui est sculpteur, il a parsemé son 'domaine' de détails qui signent sa façon d'habiter l'espace. M'entraine tranquillement sur le chemin qu'il a l'habitude de prendre depuis de nombreuses années. Le bois, c'est juste derrière chez lui... Il y va tout naturellement.




Nous poursuivons sur la gauche, je reconnais, c’est le chemin que nous avions emprunté avec les 4, en octobre 2020. A travers les arbres, la maison, me donne l’effet de sortir d’un conte, la cheminée fume, l'illusion en est renforcée. Mais David attire mon attention sur des détails plus prosaïques, le toit est à réparer, qu’il doit enlever des mousses même s’il n’aime pas, les mousses lui plaisent, mais le couvreur lui a expliqué… La porte que je vois là, était auparavant murée avec des parpaings, il l'a ré-ouverte et remis une passerelle en bois. Je le sens soucieux de l'entretien. 




Plus avant sur le chemin, me raconte qu’avant, il avait des « colonies d’abeilles ». David parsème nos échanges de sa langue, par petites touches, elles disent autrement les choses, donnent une couleur particulière à ses paroles. Il me montre où étaient ses ruches : trois. Une colonie a été « tuée » par une souris, l’hiver. Il se lance dans une explication : « la souris entre, fait son nid. Les abeilles ne sont pas dérangées, elles ne la repèrent pas, sa façon de se déplacer ne dérange pas les abeilles. La souris mange tout le miel ; les abeilles n'ont plus rien, elles meurent. » Avec force détails, David poursuit, l'histoire est édifiante : il a lu que, pour se débarrasser d’une souris, il faudrait donner un coup sur la ruche, « taper fort ! », pour les réveiller, briser le sort : les abeilles prennent alors conscience de l'intruse et la tuent, et comme elle ne peuvent pas l’évacuer parce qu'elle est trop grosse, elles la momifient en l'enveloppant dans la propolis. Et voilà, le tour est joué !… Je découvre là des qualités à l'une et aux autres que je ne soupçonnais pas, la souris ensorceleuse me laisse rêveur. Par contre, les autres ruches ont été détruites par les frelons asiatiques. Il a pu observer la manœuvre en essayant de les sauver, peine perdue. Les frelons se postaient à 5, 6 à l'entrée et capturaient des abeilles au fur et à mesure, finissant par épuiser la ruche.

Je lui fais remarquer combien l’eau du Correc est trouble en contrebas. « Il est encore tombé des cordes cette nuit », me rétorque-t-il. Au-delà, sur l’autre rive, c’est le marais : « quand j’ai acheté la maison, tout ça faisait partie de la propriété, et j’ai tout de suite vendu à l’Abbaye. » Je saisis la situation comme étant préemptée. Mais pour David c'eut été compliqué d'entretenir.

Pendant le confinement, me dit que c’était tellement paisible ici. « Je venais souvent avec mon chien, maintenant il est mort, écrasé sur la route. » Ce devait être le rituel de la sortie ; maintenant, il y va seul, moins souvent peut-être. Ajoute qu'il sait qu'il y a un autre étang, mais ne l'a jamais vu… Ça l’intrigue. J'ai perçu une certaine attirance dans le ton, mais il n'insiste pas.

David est content d'échanger, peut-être se sent-il parfois un peu seul ? Me raconte qu'à l’étang (de Beauport), il lui arrive de voir du monde. Certains viennent pour pêcher, il les dissuade. Des gens racontent qu’il y a un énorme brochet ; un homme d’un âge incertain, visiblement du coin, lui a même raconté qu’il y a une énorme bombe au fond !… une bombe de 450 kg de la 2e guerre mondiale qui n’aurait jamais explosé. David, incrédule, n’y croit pas, ce sont des légendes tout ça. On raconte aussi qu’il y a des tunnels dans la région (beaucoup visiblement), l'un d'eux vient d’au-delà des bois et le traverse, l’Abbaye semble les attirer, ça me fait sourire. Même un qui part de Saint-Riom jusqu’à l’Abbaye. Et j'ai bien l'impression que David a fini par être contaminé : un jour, avec un ami, ils ont décidé d’agrandir un trou près de la maison, était à flanc, dans la roche, ça semblait être un début de tunnel. Ils ont mis des « piliers » (des étais en béton) pour soutenir l'avancée, mais au bout d’un mètre, « c’était vraiment trop dur », ils ont abandonné le projet. Ça fait plus de 20 ans. Avec un naturel qu'on jugerait facilement excentrique, me dit que cette entreprise avait été directement inspirée par ces légendes des tunnels. Me montrera au retour.

En continuant de monter, sur notre droite, de l'eau ruisselle, attirée par le Correc, David me fait remarquer une zone noirâtre, mélange détrempé de boue et de sol forestier. Le sol paraît piétiné, il s'interroge. « Sans doute des sangliers », lui dis-je. Un endroit m’évoque une bauge. David s’exclame : « c’est comme un 'rave' de sangliers ». 

Fait toujours le même circuit, pourtant il s’égare, ne trouve plus vraiment le chemin, sommes hors piste. Un jeune couple de randonneurs apparaît, vient sur nous et demande sa route, passablement perdu… Il semblerait qu'il y a un moment où on se sent perdu dans cette zone, ça nous était arrivé aussi avec le groupe des 4 (cf. épisode du 12 octobre). Le bois nous jouerait-il des tours ?

Finalement, on retrouve un passage bien fréquenté et moi, d'apercevoir la cabane qui m'est devenue familière, je lui dit que c'est un repère. David me demande d’expliquer le mot. Il acquiesce. Depuis qu’il est dans sa maison, il a toujours vu cette cabane : « je pense que les enfants rajoutent des pièces. » 


 
 
 

Sur notre gauche, un fond lumineux a attiré l'attention de David, c'est l'ocre clair de la carrière, celle-ci s'impose derrière le rideau des arbres. David montre son intérêt pour l'endroit, cette carrière l'intrigue, lui donne envie d’aller là-bas, au pied de la falaise. Il semble fasciné. Me raconte son goût pour trouver « les trucs ». Cette situation lui rappelle une émission télé qu’il voyait étant jeune, « ça devait être en 69 », les aventures d’un sorcier saxon, « le Catweazle », il avait fait un « magic spell » pour échapper aux Vikings (en fait les Normands) ; celui-ci devait se transporter vers un autre lieu, mais avait voyagé dans le temps et s’était retrouvé en 1967, en Angleterre, vivant dès lors des histoires drôles : ses découvertes de l’électricité, du tracteur... La carrière lui rappelle ça, un endroit où se cacher. Il pense que peu de gens doivent aller là-bas, sauf peut-être les enfants. « J’imagine un petit étang en bas de la carrière, un endroit paisible. »

Visiblement, la forêt stimule l'imaginaire, elle laisse entrevoir comme autant de promesses, un ailleurs, des possibles… Se superposent des images que ne viennent pas d'une connaissance ancienne des lieux, pas d'enfance ici, David est venu un jour du Yorkshire, du côté de Bradford, c’était en 1990. Je me dis qu'il a été ce Catweazle téléporté dans un monde à la fois familier et étranger.     


Le temps se couvre, rapidement, la température descend aussitôt… Et nous aussi, vers l’arche (la cascade), David en fait des photos : « belle lumière ! » Il apprécie l’endroit, « avec mon chien, ici, je venais souvent. » Nous traversons la digue de l'étang de Danet, « j’ai courir ici, jusque le bout du bois. » Il avoue qu'il ne court plus depuis un moment. « J’étais bien aware pendant le confinement, mais j’ai pris du poids : aucune excuse, maintenant je vais reprendre ma forme. » Des gens empruntent la digue derrière nous, nous dépassent. Ils prennent à gauche et se dirigent vers la ruine. Je les suis des yeux et vois les enfants la traverser en jouant.

David, lui, scrute le bas fond, l’air grave, il raconte : « j’étais avec Jacques pendant une tempête, ça devait être novembre, c’était couvert d’eau dans la vallée… Là-bas (au loin légèrement à droite), c’était comme une rivière de 3-4 m de large mais pas profond. » Incrédule, j’aimerais bien en savoir plus. 

Le vent s’est levé, on sent le grain arriver… 

De l’autre côté de l’étang, David me faire remarquer le gris-vert des arbres, la texture est douce… Il se met à me reparler de l’étang mystérieux qu’il ne connaît pas : « c’est un peu comme une légende aussi. » 

 

Depuis des années, en hiver, alors qu'il prend la route, à un moment, il voit de l’eau en-dessous. Au départ, il pensait à l'étang de Danet, mais il a fini par réaliser que ça n’était possible, ça ne correspond pas à ce qu'on voit ici, qu’il doit bien y avoir un troisième étang, ce que Google a confirmé aussi. 

Au bout de 30 ans de présence dans la région, il a fini par réaliser qu'un autre étang se tenait là tapi, mystérieux, comme caché... Il montre une direction. Tout doucement on y arrive... Je sens la manœuvre, David hésite, n'ose peut-être pas, et le temps a passé, ne serait-ce pas déjà trop tard pour s'aventurer ? 

Il finit par me demander si on se lance, je sens l'envie, là, maintenant : c'est peut-être l'occasion ? « Bien sûr ! », j’adore le défi, l'imprévu… Nous remontons un chemin, il s'avère étroit et encaissé, bordé d'un haut mur à gauche, puis de maisons, à gauche, et puis à droite… Et nous débouchons dans Cosquellou, je n’étais jamais venu jusque là. 


A nouveau le vent, fort, en bourrasques, un grain, des giboulées : la grêle tombe avec force, elle nous pousse à nous protéger en toute hâte.

« Peut-être c’est là » me lance-t-il, pas très assuré, en poursuivant son chemin… 

C’est l’aventure à côté de chez soi. 

Il me dit qu’on est passé près de chez Jacqueline, une dame qu’il connaît depuis 12 ans, il la croisait au cours de ses promenades, mais plus depuis un moment, elle reste chez elle. 

On quitte la route pour nous engager dans un chemin creux bien taillé : d'un côté, un champ, de l'autre, c'est le bois. Et puis le chemin accélère, nous entraîne dans une descente digne d'une piste de 'bobsleigh'. Et là... c’est magique, de l’eau apparaît, au creux d'un vallon inconnu ; en face, un coteau abrupt : ne serait-ce pas l’étang de Cosquellou ? « C’est juste comme je l’imaginais », me dit David. On sent l'aboutissement d'une quête. 





 
  
 
 
 
 
Le pas change, l'heure tourne ; il me propose de faire le tour pour rejoindre sa maison.
 
Attirée par ce fond de vallon, de l’eau dévale, des arbres dessinent un chaos, sont tombés, soulevant la berge ; de l’eau s'amasse derrière le ruisseau, le niveau est plus haut, puis, les éléments s'assagissent, en une étendue couverte d’alluvions, plantée d’arbres maigrichons.


  


Un peu plus loin, sur notre droite, une rigole rejoint le ruisseau, des passerelles facilitent le passage, une, deux, trois, pour traverser cet endroit où l’eau se bouscule, pressée de poursuivre son chemin. Nous remarquons un passage à gauche, un sentier bifurque, monte au-dessus, mais trop fouillis.



Suivant notre intuition, nous poursuivons, contournant l'étang, accélérant le pas. Et le vent, encore, brutal, qui nous force à nous protéger ; la pluie suit, une « drache », qui nous pousse à nous retourner pour présenter le dos… Et le calme, aussi sec. Le soleil pointe ses rayons apaisants, ils  caressent la végétation, inondent le chemin. Là, devant, une grille ouverte, comme posée là, sans clôture… A gauche, ce qui semble être une digue, barre le vallon, abrupt ; à droite, l'aplomb d'une ancienne carrière, on devine la route au-dessus. Et le chemin, rapidement, ne tarde pas à s’épuiser, comme nos échanges se sont taris à mesure que le temps a pressé le pas. Nous franchissons la barrière qui ferme le chemin et débouchons sur la route qui remonte de l’étang de Danet à la départementale. C’était inattendu. 

   


 


Je retrouve là, la zone qu’il avait vue inondée, il l'avait signalée depuis la digue de l’étang de Danet… Effectivement, l’eau dévale vers le sentier, et j’imagine alors facilement la scène... pour l'avoir déjà vu recouvert.

Maintenant, nous avons rejoint le chemin, il court le long du ruisseau, et va rejoindre la route au niveau du parking de la carrière… En me montrant le fond de vallée où coule le Correc, David me dit que l’eau avait tout envahi ici, c'était il y a 10 ans, très exactement le 28 février 2010. C’est gravé dans sa mémoire.


 


En arrivant sur la route, les voitures fusent. Dans un sens comme dans l’autre, la circulation est suffisamment dense pour nous tenir en alerte. Ce retour à la réalité est toujours brutal. Je ne m'y fais pas. Nous traversons hâtivement la route pour rejoindre la carrière, puis nous longeons la départementale en direction de l’étang de Beauport. David retraverse au niveau de la vanne pour me montrer l’échelle que Jacques a posée : « c’est du solide ! », ça va sécuriser les descentes quand il faudra régler le niveau de l’eau.

 

Avant de nous séparer, David m’entraîne voir le tunnel : après les mots, les images ! Mais ce tunnel ne mène nul part, il m'apparaît comme une promesse sans lendemain... Et David, de conclure, en me disant que c’est ici qu’il vit maintenant. Le Brexit l’a définitivement éloigné de son île. Reste que ses sortilèges semblent assez puissants pour le transporter au-delà des apparences : il est un peu magicien...