Vendredi 19 février 2021 | MARTIAL


La forêt domestique

Ne pleut pas, le ciel est au vent, souffle frais...
Notes pour Martial Le Du,
Beauport, matin du vendredi 19 février 2021.

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Nous partons de chez lui, il est 10 h. Il va tous les jours dans le bois, souvent avec le chien. Il y repère des petits morceaux de bois pour ses maquettes de bateaux qu’il fait naviguer.

Martial marche, s’arrête, tourné vers moi, m’explique au fur et à mesure. 

Elles sont radiocommandées. Il a déjà eu un premier prix, en 86, à cette époque, il était au club de maquette à la Glacerie, à l’entrée de Cherbourg.

Nous prenons l’entrée du bois par laquelle j’étais passé avec Anne-Claire début décembre. Il finit de le débroussailler.

 

Me dit qu’il a été 15 ans là-bas, à l’AFPA de Cherbourg, à l’entretien : la mécanique, les machines… Avant ça, il était marin de commerce à la FINA, plus de 9 ans. Il avait été formé à l’EAM du Trieux, ce qui lui avait donné droit au fascicule maritime permettant d’être embarqué…

Je le vois balancer son pied pour repousser des branches sur le côté.



Monsieur Guezou, le responsable ONF, lui a accordé un droit d’exploitation jusqu’à décembre 2021, cela lui donne la possibilité de prendre ce qui est à terre. Il en profite pour refaire les chemins, assez larges pour que les gens passent facilement, et lui aussi pour pousser son chariot. Il ramasse ensuite le bois qu’il a mis au fur et à mesure en petit tas.

Sommes arrivés à un talus, le franchir, descendre sur un chemin assez large, en pointant son doigt me montre les directions que celui-ci prend au loin, un va direct à Beauport. Le chien s’arrête, marque son territoire, gratte avec force éparpillant la litière forestière...


Arrêt : déchet. Me dit qu’il y en a toujours, il ramasse quand il vient avec son chariot. Toujours des gens à les abandonner. Plus bas, il y a même un scooter volé qui est resté à l’abandon…

Me rends compte que nous longeons le lotissement, il me confirme ; le sentier emprunté suit la clôture, on aperçoit les maisons, des terrains…

Ici, le matin, c’est la partie du bois la plus agréable, il y a toujours des biches (chevreuils) qui dorment là, « on voit les emplacements », sont à côté des maisons. Les haies les protègent du froid et des prédateurs, et puis, les gens ont des chiens, ça dissuade. « Au fond de mon jardin 3 biches dorment là tous les jours. Le chien ne dit rien. Ils se regardent, et chacun part de son côté. » Cette entente animale profite aux chevreuils.

Balance son pied pour écarter une branche ; le chien tire sur sa corde, renifle, gratte le sol...




Ça fait 21 ans qu’il est là, connaît bien le coin. A part les chasseurs qui passent par là le week-end, il n’y a pas grand monde.

Maintenant, on longe des champs, nous sommes en limite du bois ; il repousse une branche couverte de feuilles. De nouveau un déchet...


 



Martial me dit qu’on arrive dans l’ancienne « salle de jeu » des gamins du lotissement, me montre les vestiges, de la palette… tout ça servait à faire des cabanes, « comme ça, on savait où ils étaient. »

Nous débouchons sur un chemin, il s’arrête en pointant le sol et me parle de la caillasse, Martial pense que c’est d’origine volcanique. Entre des cailloux, « on dirait du sable surchauffé. » Raconte qu’il a survolé ce coin de forêt en drone, « il était vers les 70 m de hauteur », il a remarqué une large forme circulaire qui lui a suggéré un cratère. Il s’interroge… aimerait bien connaître quelqu’un qui pourrait lui dire.




Une mare nous arrête, le chien y pénètre, boit. Le chemin est coupé, de l’eau stagne. D'après lui, la buse qui passe dessous est bouchée, et ça fait longtemps… L’eau s’accumule. On prend à gauche, c’est boueux, on dirait un chemin d’exploitation forestière. Traces.

 

Sur le côté, un arbre marqué d’un trait rouge oblique, ça m’intrigue : c’est le forestier qui lui donne l’autorisation de les couper, c'est le code. Il nous attribue une marque. Encore d’autres marques rouges plus loin…

Il a connu ce chemin quand il n’était qu’un petit sentier, juste tracé au milieu, puis il a été élargi pour laisser passer des machines. La configuration du terrain m’indique qu’il devait pré-exister, peut-être un usage au temps des moines ?






Des promeneurs passent, le chien gronde, la vue des bâtons de marche sans doute ; un jour, il a reçu un coup sur le museau. A gauche, un passage animal monte dans le bois : « un renard sans doute ». Mais comment sais-tu ? Il procède par élimination : le chevreuil ne monterait pas ça, trop haut, trop abrupte, le blaireau encore moins, il roulerait par terre à la renverse, et le sanglier resterait planté là devant, Martial me fait sourire… Il est familier des animaux, il aime leur compagnie ; étant jeune, il avait même apprivoisé des geais.

A droite, en contrebas, coule le ruisseau Saint-Samson, « de l’autre côté, c’est moins sauvage, j’aime moins ». Pas grand monde à passer sur le sentier de randonnée qui longe le ruisseau, à part les pompiers, quand ils viennent faire leur footing.


On s’arrête, il me montre un noisetier à gauche et ploie une jeune pousse, « je préforme ainsi, attachant la tige avec un fil de crin et 5-6 jours après je viens couper. » Ça me sert à faire des axes de treuil et des casiers pour mes maquettes. Je fais tout par moi-même. » Il procède comme un charpentier de l’ancienne marine à voile, préparant ses pièces de bois sur pied, dans la forêt : suffit d’attendre. Bon, ça peut être long, très long… Mais c’est plus facile de faire travailler l’arbre que de le former après… Je lui rappelle que, la fois où je l’avais croisé avec Anne-Claire, il m’avait dit qu’il aller essayer ses maquettes dans l’étang, de Danet ? « Non… à Poulafret, Danet je n’ai pas confiance dans le fond de l’étang, je pourrais y accrocher une ancre… » A Poulafret, Martial peut tester en toute sécurité le bon fonctionnement de ses maquettes, le plan d’eau est totalement accessible, pratique.

Je remarque que le bois est maintenant plus dégagé, il y a eu des coupes, je retrouve des pins, comme ceux du côté du lotissement. Il me confirme qu’on y revient ; d’après lui, le bois va mettre dans les 4-5 ans pour se reformer. Au loin, sur un côté du chemin, j’aperçois un tas de bois, énorme, et tout au bout, une barrière : c’est la sortie du bois.


Quand l’entreprise est venue couper, monsieur Guizou avait marqué des arbres le long du chemin, ils ne faisaient pas partie de la coupe, trop frêles, mal placés. Il les lui a proposés. Martial a pu en couper pas mal à un tarif avantageux. Avec ce qu’il récupère près de chez lui, ça lui fait son bois de chauffage.


Sur le côté, on voit encore des déchets : boites de conserve, pots de compote, bouteilles de bière… Me dit que c’est toujours comme ça. Alors il ramasse de temps en temps, quand il passe avec son chariot.

Nous passons sur le côté de la barrière, non sans toiser ce tas de bois quelque peu menaçant, et nous remontons la route jusqu’à celle du lotissement. Finalement, je raccompagne Martial jusqu’à son portail, on se salue : il est 11h45, l’heure de faire la pause.