Vendredi 16 avril 2021 | LUCIE


A la rencontre de l’arbre-totem

Temps ensoleillé et frais, quelques nuages...

Notes pour Lucie Lavie, anciennement en service civique de 'résidence médiation' à l’Herbe Folle,
vendredi 16 avril, 9h30 à l’Herbe Folle.

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Un peu de retard, l’équipe de jardiniers est passée nous saluer, 9h40, ne sait pas trop où m’emmener Lucie, alors elle se décide à faire la ballade de tous les jours. Me dit qu’elle va en profiter pour faire quelques petites photos de printemps. « Je prends toujours les mêmes photos pour avoir la même chose à toutes les saisons. » Elle me parle alors de Laurent qui a son projet photo « conjuguer le temps », lui, il prend les mêmes endroits au fil des saisons.

Lucie vient de terminer son contrat de service civique à l’Herbe Folle, elle reste attachée au lieu, elle a tissé des liens. Elle m’a annoncé, quelques jours avant, qu’elle serait disponible ce matin.




Arrivée à la route départementale, toujours le même choc visuel et sonore. Traverser rapidement. Lucie tourne sur le parking du Vallon, me montre sa voiture, était à Cécile avant. Ralentir maintenant. Elle s’arrête pour photographier les moutons. Lucie rit en me montrant le bouc, me dit qu’il garde vraiment les moutons. « Tu crois ? Lui dis-je incrédule. « Ben oui ! » Je m’esclaffe, en me disant que ce bouc semble se comporter comme un mouton, mêlé à la troupe, couché de même. Peut-être se prend-il pour un mouton ?



 
 
 

Plus loin, elle s’arrête pour sentir des fleurs d’ajonc et lance : « tu sais, ça sent quoi ? La crème solaire ! » Lucie me fait rire. Maintenant, elle veut me montrer le plus bel arbre du monde, faut que je le cherche, on sent la médiatrice à l’œuvre… Elle se détourne : photographie… Me montre ensuite la cabane, celle-là même que j’avais déjà remarqué quand j’étais allé voir Jean Dollo. « Elle a grossi », me dit-elle. « Y’avait pas de fils de scoubidous avant... » Fait maintenant allusion à cette famille que Jacques (le garde du littoral) avait vu en train de la construire. Cette cabane vit, au rythme des allées et venues de ses constructeurs.

 

  


 
Avancer. On marche lentement sur le chemin, le sol est comme un matelas, « moelleux ! ». Nouvel arrêt photo, 10h. Sur la pente, je remarque quelque chose, une cépée qui m'évoque un embryon de cabane. Lucie se lance aussitôt à l’assaut et grimpe jusqu’à l’emplacement, examine, passe entre les fûts et entreprend une visite attentive : « ouais, peut-être... », ne semble pas convaincue. En descendant, elle ramasse une branche pour s’en faire un bâton de marche, va pas durer, trop avancée...





Arrêt : « ben voilà, c’est l’arbre-totem ! », c’est comme cela qu’elle le nomme, je l’avais déjà remarqué lors de mon passage, trop singulier pour le rater. « C’est lui, le plus bel arbre du monde », rien que ça… Elle ajoute : « c’est là que je viens déposer des offrandes ; j’y laissais un bâton de marche, mais un jour il a disparu, je pense qu’il a dû finir dans la cabane. Pourtant je l’avais bien planqué ! » L’arbre n’est pas encore mort, s’accroche à la vie… Tiens, un trou de pic, bien net. C’est devenu un hôtel à oiseaux et à insectes, sans oublier très certainement les champignons. Me montre un nouvel aspect de son arbre-totem : « là, je vois des têtes de mort ». Ça lui fait repenser à l’histoire de la boîte à crâne, celle qui se trouve dans l’église de l’Abbaye, en hauteur, « pas facile de la voir ! » Son totem me fait songer à ceux des amérindiens de Colombie-Britannique, dans l'ouest du Canada, il est très suggestif.




10h15, pause cigarette, elle s’installe sur un billot de bois, sur le lieu même du débitage, visiblement un arbre qui était tombé à côté, barrant sans doute le chemin. Elle me dit aimer ces endroits où elle peut se poser. Avait aussi trouvé un arbre plein de mousse, lui servait de transat.

Un vélo passe… silence.

Pointe du doigt son assise, elle la trouve stable et confortable. Aimerait bien qu'on l'embarque, « pour la maison 33... », trop lourde ! On verra une autre fois si on trouve une solution.



Au creux du vallon, s’engager sur la passerelle, le Samson s'écoule dessous, chantant une mélodie de ru apaisé. De l’autre côté, remonter : « on arrive au croisement ». Le chemin a ouvert un talus, il rejoint celui qui se déroule le long du vallon, bien large, bordé d’un fort talus empierré ; je le reconnais, l’ai emprunté à plusieurs reprises... Mais Lucie m’a devancé, elle a déjà pris le chemin en face, celui qui monte. Je la retrouve en retrait, assise sur un tronc d’arbre moussu : « ici, c’est le coin lecture. » Elle entreprend de m’expliquer : « en face, le sapin : en regardant ses branches, j’ai appris à dessiner un sapin ; à droite, l’arche ; sur ma gauche (ça m'a pris du temps pour saisir), une situation qui m’a évoquée une cabane abandonnée, mais on a l’impression d’une petite zone de rituel mystique, le mystère est entier, et derrière, c’est l’arbre en zigzag, j’y ai vu 2-3 fois des écureuils qui jouaient à se poursuivre, j’ai fini par leur apporter des noix. »

Au loin, quelques aboiements, ils me font prendre conscience du chant des oiseaux, enveloppant, sont partout… C’est le printemps, sont particulièrement actifs.



 

Lucie me raconte qu’elle venait ici au moins deux fois par semaine, après manger, faire sa sieste lecture. C’est une zone de ressourcement pour elle. L’endroit n’est pas loin de l’Abbaye, pratique… Elle l’avait repéré, déjà avant de commencer son service civique à l’Herbe Folle. Elle venait d’arriver en Bretagne, le 28 septembre 2020 précisément, puis elle a débuté vers le 4 ou 6 octobre… A l’époque, elle était hébergée à l’Herbe Folle, a eu tout le temps d’explorer les alentours, de trouver ses marques.

10h40, on est là depuis un petit moment et j’entends des bruits qui m’interpellent, on dirait qu’il y a des gens de l’autre côté du ruisseau, sont bruyants, ça parle fort, ils s'interpellent... Ça se rapproche : des cyclistes apparaissent, 1,2,3… je les salue, ils s’engouffrent promptement sur le chemin à droite,  suivent le vallon. Un 4e apparaît et disparaît aussitôt. Peu après, j’entends le chien aboyer vivement. Normal, me dis-je... A nouveau, des gens à vélo, un adulte suivi de 2 enfants, ceux-ci nous arrivent sur la gauche cette fois, décidément, c'est une vraie autoroute ici… Disparaissent à leur tour : de nouveau le silence.




Je goûte à nouveau les sons ambiants, les chants d’oiseaux, et je distingue bien cette fois, en fond sonore, le ruisseau… Le vallon participe de cette qualité acoustique. Notre statisme a révélé ce qui se déroulait autour, sommes devenus des spectateurs attentifs à la vie du lieu. Ce petit coin de bois au tronc moussu est devenu notre base, notre lieu d'observation.

« Pour s’en retourner, on reprend le chemin à l’envers », c’est comme ça qu’elle fait d’habitude… Ainsi, elle pourra repasser devant le plus bel arbre du monde !

Il est 11h, on s’est arrêtés : échange sur la forme des fougères près du ruisseau, leurs frondes, la crosse des fougères femelles (Athyrium filix-femina), puis j’attire son attention sur des plantules de hêtres, elle photographie, s’étonne de la dissemblance avec un jeune plant qui a déjà ses premières feuilles, « on n’a pas l’impression qu’il s’agit de la même plante. » Maintenant, me dit-elle, « j'en vois partout, des feuilles mortes aussi, et des faines de hêtre... » Je lui dis qu'on est chez lui, sur son territoire, un fond de vallon, il aime la fraîcheur, l'humide.



 
Salutations ! Arbre-totem, nous passons...

A la cabane, lui prend d'entreprendre de rechercher son bâton de marche. Pense l’avoir repéré, mêlé aux bois d’une des parois, s’en saisit et vérifie : oui, « c’est bien lui… »

Rien ne se perd dans le bois, tout se recycle !


11h35, retour au parking ; en passant, je jette un œil sur le bouc ; c’est vrai, c'est drôle, il est complètement intégré à la troupe de moutons…

Lucie, elle, regarde l’aubépine, les bourgeons floraux commencent à s’ouvrir. Je sens son plaisir à profiter de l’éveil des fleurs. 



Avant de regagner l’Herbe Folle, elle part jeter un œil dans la boîte à livres, des fois qu’elle trouverait un livre qui l’intéresse… On sent là une certaine habitude.

Lui dit : « Si tu veux, on peut passer à la maison 33 » Comme ça, elle pourra se rendre compte des changements. Elle est d’accord, n’a pas vu l’endroit depuis qu’elle a fait place nette pour le projet.

A l’intérieur, elle s’enthousiasme, la dernière « rencontrée » va pouvoir entrer à son tour dans le projet... D’ailleurs, n’a-t-elle pas déjà prévu d'y ramener son billot ?

 


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Elle est arrivée un jour d’Aix-en-Provence, en fait Lucie, c'est une plante exotique, elle est venue de Nouvelle-Calédonie, à la fin de l’été 2013 ; depuis elle réside en France, et maintenant, compte bien rester en Bretagne, au moins pour un temps, la plante est voyageuse...