Samedi 9 janvier 2021 | MICHEL

Expédition volcanique à la pointe de Guilben,
avec Michel Le Peuc'h

Samedi 9 janvier 2021, rendez-vous à l'Abbaye 9:45.

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Michel m'attend au parking de l'Abbaye, rouler vers la pointe de Guilben, sortir des zones habitées et arriver dans en endroit visiblement prisé des promeneurs. Cheminer tout en causant, Michel, le prof d’économie de gestion, est un passionné, ici, c'est un haut lieu géologique. Il a suivi des géologues en Bretagne, s'est initié. Il me dessine un paysage de laves, me promet des roches volcaniques édifiantes, des « pillow lavas » (coussins de lave) qui sont nés il y a 614 millions d'années au cours d'éruptions sous-marines. Je me laisse conduire sur le rivage à marée basse, parfois gelé, glissant aussi… Cela requiert notre attention, la marche se fait prudente. Le caillou prend des couleurs aux teintes verdâtres, parfois rougeâtres, parmi des tonalités dominantes gris beige, parfois sombres.

 
 

Là, il m'avoue son enthousiasme pour la peinture, les micro paysages géologiques ; il m'évoque Cézanne et sa quête des dessous du paysage, de ce qui structure. Pour lui, l'âme d'un paysage est dans son socle, dans son histoire longue, sa genèse… Il veut le faire exister. Le révéler. Ici ressurgit un passé lointain qui nous évoque par moment d'autres lieux au volcanisme tonitruant. Tiens, d'ailleurs, il me parle de l'Islande vers laquelle les pêcheurs paimpolais se rendaient autrefois. Je me sens transporté quand mon œil rencontre au loin les îles de l'anse, l'île Blanche se transforme en pic volcanique, le sol du rivage en lave pétrifiée, la vision est saisissante, minérale, Michel renchérit : ici c'est la terre de toutes les promesses, il faut imaginer la soupe originelle, du cataclysme terrestre naît la vie, on touche là à un moment de l'histoire de la terre.






Pour comprendre ce qu'il me révèle au fur et à mesure de la marche, l'œil fouille les recoins, les aspérités, la main cherche la pierre, la jauge… Il me transporte dans un autre monde : imagine, tu es sous l'eau, peut-être à 1000 m… Les pillow lavas sont des langues de lave qui sortent et explosent, ça dégaze, et moins il y a d'eau, et plus ça dégaze, et plus il y en a, et plus les pillow lavas sont lisses, non altérés, pas comme ici, alors on suppose qu'il ne devait pas y avoir beaucoup d'eau. Tiens ici, le rouge, c'est de la cornaline, elle est rare, et là un peu partout, la spilite, verte… C'est l'eau de mer qui a conféré cette teinte au basalte en le transformant. Ailleurs, une veine rose saumon affleure, elle résulte d'un magma plus acide qui a poussé plus tard, vers – 500 millions d'années. Il a fait son chemin dans la couche de basalte plus ancien. Michel se tourne vers le rivage pour me montrer la coupe franche de la côte, là, apparaissent les bulles, ces formes typiques des pillow lavas. En chercher un qui est « frais », ouvert ; c'est un peu comme une géode qui s'est formée rapidement, en somme, un coussin explosé par la sortie des gaz.

 
 
 
  

La berge, en se dégradant, révèle de ces anciennes formations avant qu'elles ne se dégradent à leur tour avec les éléments aériens, les vagues… Ces moments sont donc précieux. On chasse le 'pillow', cherchant à le débusquer dans une crevasse, couvert de terre encore fraîche, ou noyé dans la masse parmi les autres roches. Il faut avoir l’œil ! Michel, cherche, va et vient, poursuit son chemin, tâche de reconnaître des formations qui lui donneraient une indication… Raté. Diversion : remonter sur la pointe, une masse ronde, carapace de tortue recouverte de pins. Michel pointe ici et là, ce qui le motive, des racines de pins qui, dénudées par l'usure du sol, dessinent un réseau courant à la surface. Je saisis qu'il voit ce phénomène de la même manière que le dévoilement des roches au pied de la presqu'île. Je pressens qu'un jour cette pointe deviendra une île, rejoignant celles que j'aperçois au loin, et qui me donnent l'impression de barrer l'anse de Beauport.




 

Au bout de l'île, Michel me montre les vestiges en arc de cercle d'un ancien lieu depuis lequel on dût surveiller l'entrée de la baie de Paimpol… Derrière, la maison du douanier. L'appareillage de pierre signale toute la rugosité d'une pierre de lave qui semble avoir été ramassée alentours. Il y a quelque chose de brut dans la sobriété de l'édifice.







Retour à l'escalier, pour retenter notre chance. Et voilà ! Nous trouvons enfin des pillow lavas cassés, comme tranchés net, puis aller à la faille, voir le « cœur » de cornaline enchâssé au fond d'une petite cavité. Michel s'émeut. En prenant le chemin du retour, on s'arrête devant une belle ligne saumonée issue de cette lave acide déjà rencontrée, la kératophyre, celle-ci s’étend en direction d'une petite plage. Traverser. Michel m'arrête et me désigne la falaise de terre, un peu menaçante : « on voit le quaternaire, regarde cette masse de terre imposante, elle s'est déposée par la suite sur le socle magmatique » ; il pointe son doigt vers les « gargouilles » près du sol, deux cailloux saillants, dégoûtants d'eau, lavant les pierres volcaniques qui gisent à terre. Ces roches de spilite sont fraîches, toutes en aspérité. J'admire aussi la couleur avivée par l'eau. La falaise tombe au fur et mesure. Recul. Conscience d'un danger potentiel. Ici, la falaise découvre par à coups un monde d'avant, fabuleux : « la soupe primitive a fait des grumeaux, regarde, ils réapparaissent ». Je pense à l'émotion de l'archéologue, devant les artefacts qui apparaissent. Michel déplore : « on a ça sous nos yeux et on ne sait pas le voir... »



 


 

 
 
 
 

Retour à la voiture. Midi. En arrivant à Kérity, au niveau de la crêperie, en face de l'Abbaye,
sortir d'un songe minéral, le bruit des voitures et l'habitat humain me ramènent à une réalité plus prosaïque.
Quitter là Michel pour gagner le gîte du Moulin.