Mardi 12 janvier 2021 | PIERRETTE & MICHEL

Crachin bien breton, ciel gris, rivage gris, mer grise, l’eau dissout tout, sauf notre ardeur

Notes pour Pierrette et Michel Coatanhay, Beauport,
après midi du 12 janvier 2021.

___

Ils sont arrivés de l’entrée, j’ai deviné. Au loin, j’ai aperçu Anne-Marie, il est 14:00, comme convenu. Pierrette et Michel sont natifs de Kerity, Pierrette habitait la mairie, Michel, la rue qui mène à Cruckin.  Anne-Marie explique l’objet de notre rencontre. Michel dit qu’enfant il jouait là, sur l’île de Cruckin, « on appelait ça la colline ». Maintenant ils habitent Plouézec. Marchons vers la digue ; au niveau des roseaux, en montant sur le GR 34, Michel me montre un arbre… Anne-Marie et Pierrette sont parties en avant, suivies par le chien. Michel me dit que le Beauport d’aujourd’hui est différent du leur, la digue a été refaite, il y avait des vipères sur tous les chemins, ce n’était pas entretenu comme ça, plus sauvage. L’estran était déjà comme ça, avec son champ d’obiones.


 
 


 Nous remontons vers le GR, Pierrette m’attend, la pluie, fine et tenace, colle mes vêtements, elle commence à me raconter, que quand elle était gamine, elle arrivait à s’échapper de la maison, elle en profitait bien. Avec un vieux vélo elle venait là, et d’en haut du GR, elle fonçait dans la descente, prenait le virage bien sec, à 90°. L’objectif : « éviter de se viander ». Des casse-cous, elles venaient à plusieurs se faire peur. Elles appelaient l’endroit « le virage de la mort ». Argl ! Le papier de mon carnet se ramollit à vue d’œil et mon objectif photo se tache de gouttelettes, impossible de protéger tout ça correctement, tant pis…



Continuer de remonter. Pierrette s’écrie « les arbres ont descendu », il y a des coupes, datent d’il y a un moment… Michel et Anne-Marie nous attendent. Michel me dit : « voilà l’arbre ! » Ici, Michel Yvon C., son oncle, y a laissé traces, gravées dans l’écorce d’un tronc de houx. Il y a 3 troncs, sont tous gravés, Michel cherche à déchiffrer des initiales… Je lis sur l’un d’eux 1 9 4 9. Michel me dit que son oncle est mort en Algérie à 20 ans, l’émotion reste dans sa famille, une blessure. Tiens, là, 1 9 5 0, c'est peut-être lui... 

En leur temps, les gamins du coin avaient gravé ces arbres.





Mes hôtes aiment être ici, dans ce pays, ils habitent là, c’est varié, il y a la forêt, comme le bois, chemin des Bruyères, où Pierrette allait chercher des girolles avec son grand-père, y’en a plus d’après elle, les arbres auprès desquels poussaient les champignons ont disparu. Pierrette aime les arbres, elle s’arrête de temps en temps pour s’approcher de l’un d’eux, l’examine. Anne Marie est quant à elle ravie de cette balade, le mauvais temps, elle s’en moque. Cette marche est somme toute plaisante, la conversation fluide, les souvenirs de l’un et l’autre alternant avec l’instant, tout cela produit quelque chose d’irréel. En regardant sur notre gauche, je découvre un horizon gris tenace, graphique, la marée basse a découvert un espace infini qui semble rejoindre l’île blanche. Presque en face, la pointe de Guilben. Michel me dit qu’étant jeune, c’était une limite qui définissait leur terrain de jeu, qui intégrait le bois de Beauport. Ce territoire était immense ! Les jeunes pouvaient aller tout droit à marée basse… Sommes interrompus à la vue d’une zone d’effondrement qui nous paraît fraîche. Le sol s’est dérobé, a glissé jusqu’en bas. En continuant d’avancer nous nous rendons compte qu’il y a d’autres glissements de terrain.



Arrivons à la pointe de Kérarzic, je n’étais pas venu encore jusque là, je vois enfin l’entreprise ostréicole dont j’aperçois les mouvements au loin, depuis mon logement. Michel décrit le lieu comme étant la limite, la frontière ultime pour eux, enfants, et le bassin que ça définit en traçant une ligne jusqu’à Guilben, c’était l’espace dans lequel ils pouvaient naviguer en barque. Une sacré surface !

Mon papier est de plus en plus mouillé, et mon crayon de bois accroche moins, mon écriture devient difficilement lisible, vais avoir intérêt à copier tout ça rapidement…

 
 
 
Retour par la plage, passer par un cimetière des huîtres, blancheur inattendue entre l’estran et la falaise de terre ocre. Nous arrivons sur une zone de pierres qui me rappellent le volcanisme de Guilben, dès qu’on s’éloigne de la falaise, le goémon recouvre ; toutes ces couleurs sombres et luisantes donnent un aspect gélatineux, poisseux, d’une toile qui n’en finirait pas de sécher… 


 

Michel me sort de cette rêverie : « au pied de Cruckin, il y a un rocher avec une empreinte de pied, toute petite, pour nous c’était des empreintes de korrigans ». Pierrette s’est arrêtée, elle farfouille dans le goémon et examine les bigorneaux, s’en saisit d’un, « ce ne sont pas des gris, il est gros celui-là. » A côté le chien croque un os, heu, un os de sèche, Michel s’empresse de le lui retirer, paraît qu’il mange de tout… La falaise sur notre gauche nous saisit, la terre a glissé en plusieurs endroits, éboulée, s’accumulant à la base. Pas rassurant. Le tableau n’est vraiment pas sec, la peinture dégouline… La pluie, toujours la pluie, dissout tout, comme un solvant.

 

  

 

Regagner notre point de départ, en longeant la berge boisée, le sol est détrempé, bouillasse, on se croirait dans l’estran, à malaxer une matière noirâtre, organique. Nous repassons sur la digue, Michel rompt le silence en nous racontant, amusé, que, de colère, un jour, il avait fugué, avait planté une tente sur la colline boisée là-bas (geste), au-dessus du Correc. Ne sait plus très bien quand, Pierrette dit que ça a déjà brûlé par ici…  









Poursuivant jusqu’à l’allée des ormes, nous remontons vers le parking de l’Abbaye. Michel s’arrête pour raconter une dernière anecdote, plutôt délirante, à la sortie de la guerre, après avoir miné le champ, à droite de l’allée, les allemands ont dû le déminer. L’un d’eux sauta, son pantalon resta accroché dans un arbre jusque dans les années 50, personne voulait enlever. Je ne sais pas si je dois en rire, à la fois drôle et terrible. 


Juste un peu avant 16h, fin de la rencontre (fort humide).

Ravis de cette sortie émaillée d’histoires, qui nous a menés du GR 34 jusqu’à Kerarzic, 
profitant de la basse mer pour rentrer par la plage.