Jeudi 14 janvier 2021 | MARIE-ANNICK, avec ANNE-MARIE

Un voyage immobile

Notes pour Marie-Annick, Kerity,
après midi du jeudi 14 janvier 2021.

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Temps gris, se retrouver à 14h sur le parking avec Anne-Marie. Ne nous souvenons plus très bien de la maison sur la route qui traverse Kérity. Après quelques hésitations, essayer de passer le portail blanc d’une maison, fermé, frapper à la porte qui donne dans la rue, rien. Anne-Marie se souvient du numéro de téléphone de madame Baron. Entre temps porte s’ouvre, une dame sort… Erreur sur la maison, pas la bonne personne, s’excuser, pouffer de rire. Au loin, une dame apparaît sur la rue, c’est elle !

 

Marie-Annick explique, cette maison était celle de ses parents, et avant, de ses grands-parents, s’appelait alors l’hôtel de la mer. La grand-mère était cuisinière à Paris, son rêve était d’ouvrir à Kérity… Elle est venue habiter là, au décès de son mari. Ils étaient installés à Rennes, avec un commerce de matériel de Bureau, à Sainte-Thérèse. 

Chez elle, sommes bien calés dans nos fauteuils, prêts à décoller. N’a pas la marche facile, surtout en cette saison, alors aller dans le bois… Nous prenons le thé et, avant d’en venir au passé, le sien, et son enfance dans le bois, un moment de présentation avec Anne-Marie. Elles se situent : généalogie des familles, fratries, cousinages, filiations et ressemblances physiques transmises… Autant de signes de reconnaissances qui vont faciliter la navigation au fil de nos échanges.

« Qu’est ce qu’on a joué dans les bois ! » lance-t-elle d’emblée, avec Jean Dolo et toute sa bande. Il y avait plein de garçons dans ce quartier, le quartier de Beauport, on ne fréquentait pas ceux des autres quartiers, nous étions nombreux... « Qu’est ce qu’on a eu du plaisir dans les bois, je le connais par cœur, jusqu’à Danet ». On ramassait des châtaignes, on fumait les fleurs de châtaigniers… J’interviens : chez moi c’était les soies des épis de maïs qu’on expérimentait, hum... Sourires entendus. Finalement, gosses, on faisait les mêmes choses, en lien avec les milieux fréquentés : champs, bois, vignes, vergers... Marie-Annick trouve qu’étant enfants ils avaient de l’initiative, « aujourd’hui les gamins ne savent pas quoi faire dans les bois, ne savent même pas reconnaître les arbres ». Faisaient aussi des habits avec les feuilles de châtaigniers, les assemblaient avec les aiguilles des pins. « C’était magnifique ! » Cette exclamation enthousiaste revient souvent. 

Marie-Annick sait nous embarquer dans son monde. Elle raconte aussi comment elle s’accrochait à une grosse branche en forme de Y, « les gars me lançaient », c’était toujours les filles, « sans doute pour nous faire plaisir ». La branche existe toujours, ça devait être un orme ou un hêtre. Vu que les ormes ont disparu de nos campagnes avec la graphiose, je penche pour le deuxième. Je me promets d’aller voir cette branche, à la belle saison, on ira ensemble !

Se souvient des « soupes » d’oseille sauvage, en faite, c’était les mâchouiller… Elle ajoute qu’on savait reconnaître des herbes, on n’allait pas manger la ciguë… On se faisait des dînettes. Jean (Dolo) lui rappelle à l’occasion que, sous la tonnelle, chez ses grands-parents, ils faisaient du ragoût de patates avec du thym, « les grands-parents de petit Jean lui laissaient faire plein de choses, c'était le petit chouchou ». Qu'est ce que c'était bon... C'était que des patates à l'eau pourtant, mais on trouvait ça si bon. Jean qui habite pas loin, pratiquement en face, a toujours dit qu’il ne partirait jamais d’ici ; lui, qui était toujours sur les bateaux, est revenu habiter à côté de la maison de ses parents. C’est comme pour Marie-Annick, l’attachement est trop fort. Ils savent d’où ils sont, les racines de l’arbre sont profondément ancrées. 

De digressions en digressions, après avoir évoqué les bains à Cruckin, Marie-Annick revient sur ses aventures forestières, sur le jolie sentier après chez Josette, chemin des Bruyères, il la menait à la cascade de Danet. Ça lui rappelle que, quand elle était jeune, vers 6 heures du soir, en été, les parents les envoyaient glaner les épis de blé dans les champs, c’était pour les poules. Les parents nous laissaient rarement sans rien faire. A l’automne, dans le bois, c’était les « pulluches », les aiguilles de pins, pour allumer le feu. Mais attention, le premier qui arrivait ramassait tout ! 

Un peu comme pour conclure avant l’heure, elle rajoute qu’ils savaient s’amuser avec pas grand-chose ; de toute façon il n’y avait pas grand-chose non plus à cette époque… Marie-Annick a 85 ans, ça fait remonter à la guerre, à l’occupation. 

Elle se lance de nouveau : elle était connue comme aimant grimper aux arbres, elle allait jusqu’en haut ; là, elle ne raconte pas tout… On sent à sa voix et à l’expression qui illumine son visage que ces émotions enfantines ne l’ont pas quittée, comme si ressurgissait une façon de s’exprimer… De ce petit côté espiègle, avec ses ruses élaborées, en prise avec le monde des adultes, surgit le plaisir d’avoir « roulé » la grand-mère. Quand la bande voulait aller jouer derrière, sur le terrain où il y avait des pommes, la grand-mère se méfiait, voulait pas plus de deux copains/copines à la fois ; tel le cyclope, elle les contrôlait à l’entrée. Comme elle ne voyait plus bien, elle tâtait les prétendants, laisser passer ceux qui avaient droit, mais, malins, les gosses allaient à la barrière ouvrir en douce aux copains… 

Poursuivant dans cette voie, le récit se poursuit, descendant vers la côte, elle nous dit qu’ils jouaient à cache-cache à la colline. La « colline », c’est l’îlot de Cruckin ! L’ont toujours appelé comme ça. Et devant, il y avait le champ avec de vieux troncs de figuiers, maintenant c’est une zone envahie aux marées. A côté, la digue. Il y a une dizaine d’année, elle était encore assez haute, mais la mer a fini par tout emporter. Aujourd’hui, elle se baigne là, avec d’autres, et comme elles sont âgées, elles ont de la misère avec les cailloux qu’il faut traverser. Là, commencerait une autre histoire qui nous détournerait du bois et de ses usages, « la guerre du sable », où Marie-Annick se révèle être une terrible frondeuse, une meneuse... Fini la petite fille, féroce la grand-mère !