Dimanche 21 novembre 2021 | THIERRY


De chemins abandonnés en chemins détournés,
le palimpseste du bois


Temps humide, couvert, entre deux périodes pluvieuses.

 

Notes pour Thierry,

dimanche 21 novembre, à 14h le long du chemin des Bruyères, au niveau du pré aux chevaux.

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Thierry est né ici, il a le souvenir prégnant de mémère Lise, la voisine qui habitait à l’autre bout de la maison, déjà vieille, elle a bercé son enfance avec ses « crêpes à la naphtaline »… Ce lieudit s’appelle  « le clos de Beauport », c’était autrefois un relais de chasse du domaine de l’Abbaye, avant la 1ere guerre mondiale. 

Me montre, à descendre vers le vallon, un sentier : le chemin des chèvres, ainsi nommé parce que son père, Roger, l'avait fait, avec ses chèvres… Il amenait jusqu’à l’ancien camping, qui était au parking du vallon. Son père a toujours eu des animaux. Petit, il aimait boire le lait « tiré du pis ». 

 

 

Il m'invite à le suivre, à emprunter ce chemin, son chien nous accompagne, un grand beauceron qui attendait la sortie avec impatience, faut pas lui en promettre… Thierry évoque ces chemins détournés, comme il les appelle, parce que la vie a changé ; au fil du temps, certains sont restés pour les terres, les vaches, vu que c’était habité un peu partout, quelques maisons ici et là, des champs clos… On arrive à une limite de parcelle murée, il corrige, plutôt talutée avec des pierres, parce qu’ici, à droite, ça n’appartenait pas à l’Abbaye, c’était privé. Plus bas, me raconte que le terrain en creux, était rempli d’osier, c’était l’Abbaye ; il m’évoque Jean Calvez, la ferme… Ici l’eau coule mais faut faire un effort pour voir, la friche a mangé la terre, on distingue à peine une rigole : le ruisselet, alimente sans doute le Samson ? Une végétation peut laisser deviner l’humide. Me dit qu’il y avait un petit pont, un sentier passait là il y a encore pas si longtemps. Déjà effacé… 

« On utilisait tout, les bêtes mangeaient, toute la rivière était propre. » Me raconte que les jeunes du coin, avaient construit une cabane ici même, juste derrière l’arbre qui est devant nous, ça remonte à une dizaine d’année, son fils en était. Il n’en reste plus aucune trace...



 

« Ici, on est à 100 m de la maison des parents », et pourtant Thierry m’a déjà déboussolé, je me sens loin de la route… La végétation m’enveloppe, m’isole, elle si dense ! Il me dit que le soir, « vite fait, je vais voir s’il y a des champignons, mais ce coin là, beaucoup de gens à venir, il est ratissé », il grogne, me dit qu’il y en a qui ramassent tout et n’importe quoi, c’est du massacre, et pour faire quoi ? Jeter la plupart ?… Il leur a donné un nom : « les ramasseurs frénétiques ». Tout en me montrant ce bout du bois, il en profite pour faire sa tournée, je le vois jeter un œil apparemment distrait.



 

Me pointe de la main un fossé taluté, on aperçoit ce qui ressemble à une ancienne cabane. Tout en allant vérifier si on trouve des champignons, me montre qu’un animal y a élu domicile… Sur l’autre talus, un châtaignier, on l’approche, il est tout vrillé, il le touche : « il est vieux celui-là, je l'ai toujours connu là ».  


« J’habite dans la forêt », elle est là autour, touche la maison ; il se sent chez lui dehors, c'est comme un prolongement de son lieu de vie ; semble connaître chaque recoin… Il trouve que la forêt souffre, qu’elle meurt, beaucoup de sécheresse... Soudain, se penche, il a repéré un pied de mouton, abîmé, mais quand même bien, il le cueille délicatement : « ça va bien avec le lapin » ; continuer « hors piste », c’est sa pratique, va de petits coins en petits coins où il sait pouvoir trouver des chanterelles, des girolles ou des pieds de mouton… Me montre l’empreinte d’un autre chemin… et retourne à cette attention silencieuse du chasseur de champignons : le débusquer n’est pas si facile, se confond avec la couleur des feuilles qui, bien souvent, le recouvrent. Me dit d’y aller, je l’aide à ma façon, je fais le chien, pointe du doigt le champignon que j’ai repéré… Pendant ce temps, le chien navigue de son côté, les champignons, c’est pas son truc, il va, disparaît un temps, revient, toujours discret.




Me dit que les chanterelles, il peut en ramasser jusqu’en janvier s’il ne gèle pas. Là, c’était des chemins à pieds, des chemins de traverses. Faut imaginer que ça circulait dans le bois, tu passais d'une maison à l’autre, à travers le bois… « Les chemins allaient où il y avait de vieilles maison en pierres, et vers d’autres villages. » On arrive au niveau d’un ancien champ, un vestige signale, sur le côté, un reste de talus. Quand il était gosse, des gens avait acheté le terrain, se souvient bien avoir joué ici, il l’appelait « le champ à lapins » ; plus âgé, il a d'ailleurs posé des collets là-bas, en face, au niveau de l'autre talus qui borde ; il ramenait de temps en temps des lapins. « Les gens avaient fait une cabane, venaient camper l’été, il y a avait un puits aussi », je regarde avec lui les restes de cette cabane et je le suis dans la broussaille jusqu’à ce puits : l’ouverture a depuis été grillagée. Au passage, il cueille un améthyste, le champignon est discret, tout fin, violet… M’entraîne maintenant vers un de ces coins où il y a des girolles. Y'en a pas beaucoup, mais on en voit des jeunes à venir, me les montre du bout de sa canne, les recouvre soigneusement : « je les laisse grossir », une façon de les soustraire au regard indiscret d’autres ramasseurs. On sait le cueilleur de champignons farouche, ne révèle pas ses coins… agit discrètement, furtif… Je suis visiblement inoffensif.



Nous remontons doucement vers la route : « le champ à chevaux, c’était des champs à vaches, tout était taluté avec des cailloux qu’on ramassait dans les champs ; il y a avait 6-7 champs ici. » Me redit que sur cette partie haute, c’est de la terre à bruyère, le sol n’est pas épais, puis on trouve du sable de roche et la roche mère… L’eau ne tient pas. On ne pouvait pas trop cultiver, les gens étaient pauvres et tiraient parti de tout, ils glanaient du bois, ramassaient des champignons, avaient quelques bêtes, l’ajonc servait au feu, comme le pulluche. Gamin, il allait chercher les pissenlits pour les lapins, me donne aussi un autre nom, sans doute en breton... 






Il est 16h40, me dit qu’on va pouvoir poursuivre un peu, jusqu’à 17h30, après ça sera trop sombre. On sent parfois des gouttes, le ciel menace. Traverser le chemin des Bruyères pour emprunter une ancienne route : « le chemin était carrossable, taluté, avec une « douve » (un fossé) ; il y en avait qui l’entretenaient avec des tombereaux de cailloux. Chacun entretenait ses douves. » Ajoute qu’il a pu croiser des gens avec des paniers, même le curé, il allait d’un endroit à l’autre visiter les gens, comme au moment des décès. Ces routes étaient importantes, les gens se déplaçaient beaucoup à pieds et ces routes étaient les chemins les plus courts pour aller d’un village à l’autre.


Sur la gauche, m’indique qu’il pense qu’il devait y avoir une motte féodale, ou quelque chose comme ça, ça l’a toujours intrigué, on s’avance : le terrain, surélevé, fait comme un promontoire. Pour lui, dans ses souvenirs, c’était un peu comme un grand rond point, un carrefour où passaient des routes provenant de différentes directions : « ça faisait le tour, c’était bien arrondi ». 

 

On est maintenant en surplomb d’un chemin qui devait peut-être relier Plouëzec... Je pencherais bien pour Quévézou qui est plus proche. A travers les arbres, je devine l’étang de Danet. Me raconte qu’il a joué ici avec d’autres enfants à faire du toboggan, des glissades dans les feuilles : « de la luge de feuilles ». En contournant la butte, me montre sur la droite que le chemin a été détourné. « En bas, il y avait une carrière, et une source », mais aujourd’hui tout est masqué par la végétation. J’aperçois clairement l’étang. On emprunte un chemin qui descend vers la digue de Danet, l’espace s’ouvre : apparaît un lacis de sentiers, embryonnaires ou restes d’anciens passages, on s’y perd… au centre un arbre à plusieurs fûts, deux sont gravés. Pas la première fois que j’en vois. Je lui fais remarquer que les lettres qui semblent avoir été écrites il y a déjà longtemps, sont parfois déformées, il confirme : « on a tous marqué quelque chose sur cet arbre, c’était l’arbre des amoureux. » Je me dis qu’il faudrait aussi repérer ces arbres gravés, ce sont des marqueurs, une part de l'histoire du bois Beauport…




A la digue de l’étang, ça devient un point de rencontre de chiens : deux arrivent sur notre droite, salutations canines… un autre ne tarde pas, vient d’en face, rencontre à 4 ; les maîtres se saluent, l’un d'eux vient du terrain aux bateaux à Cosquellou, m’a toujours intrigué cet endroit perdu au bord du bois, Thierry tente sa chance, il cherche un moteur, demande… mais aucun correspond à la puissance requise par son bateau, tant pis. 

On se sépare et nous, nous remontons vers le chemin des Bruyères par le sentier que j’ai déjà emprunté avec Cathy Le Cam. Ça grimpe. Bifurquer sur la gauche, me dit qu’en prenant sur notre droite, on aurait vu une autre carrière, plus importante. Il y a une logique à tout ça, les gens faisaient des carrières au plus près pour construire leurs maisons. Sommes arrivés près de la zone où on été coupés les pins, à l'entrée de Kérity. Thierry trouve qu’on devrait avoir le droit de pouvoir glaner, de ramasser le bois qui est laissé à pourrir au sol, ne comprend pas. Changement d’époque, changement de propriétaire, changement d’usages… Maintenant c’est interdit, dur à admettre, dépossédé d’un bois qu’il respecte et voudrait utiliser comme un commun.

Nous sommes arrêtés par une clôture neuve, autre changement : les nouveaux propriétaires ont enclos leur terrain, on ne pourra pas emprunter le chemin qui nous mènerait au plus court à la route… Contourner, passer dans un pré pour gagner la route, me montre des passages de sangliers, le terrain est mouillé, sont nombreux maintenant, me dit-il, ils ont farfouillé par endroit, parfois récemment. Il fait sombre, va être temps de rentrer. 

Nous terminons notre boucle et, avant de nous séparer, nous nous attardons encore un peu pour un dernier échange. Thierry, l’homme des bois, me propose de nous revoir, pour aller plus loin, dans la direction de Kerfot cette fois, là où je n’ai pas eu l’habitude d’aller. Parfait.